Avec Natnada Marchal sur "la Route des os".
- uyuyproject
- 6 nov. 2017
- 3 min de lecture

[Esprits Animaux]
A propos de Kolyma
Natnada Marchal : "Durant deux hivers, j’ai parcouru les villages longeant la route de Kolyma. Située en Iakoutie, elle relie la capitale de Iakoutsk à la ville portuaire de Magadan et fut construite de 1932 à 1953 par les prisonniers des goulags sous le régime Stalinien.
Des centaines de milliers de détenus perdirent la vie le long de cette route, souffrant des conditions climatiques extrêmes et des maltraitances infligées par le régime soviétique, donnant à ce lieu le surnom de "Route des Os".
Malgré ce lourd passé, la vie perdure et les habitants demeurent chaleureux et accueillants.
Kolyma a été pour moi plus qu’un voyage sur des terres lointaines. Lors de mon second séjour j’apprenais brutalement la mort de ma grand-mère. Les choses prirent alors un tournant différent. Celui d’un voyage intérieur où l’isolement - qui jusque là n’avait été que géographique - devint également émotionnel. Chaque kilomètre parcouru devenait une quête aveugle, un questionnement sur le vide de mon existence et sur ma propre mortalité."
A propos des hommes et des animaux en ces terres lointaines
Natnada Marchal : "Ce qui m’a interpellé, c’est le profond respect que les locaux portent à la nature et aux animaux, et au cycle naturel des choses. On croise parfois des cavaliers nomades, des éleveurs de rennes, des familles de pêcheurs sous la glace ou des éleveurs de chevaux. La vie et la mort se côtoient très naturellement. Les animaux vivent pour la plupart à l'état sauvage et on vient généralement à les tuer par souci de survie ou d’autodéfense. Sur une terre où rien ne pousse (sol gelé toute l’année, que l’on appelle permafrost) et où les températures avoisinent les -60°c en hiver, il est essentiel de se nourrir généreusement de viande de poisson, de cheval sauvage et de renne. Les fourrures servent à la confection de bottes et de vêtements chauds, les crins à tisser des amulettes, les os sont utilisés pour divers objets et outils.
Là bas, chacun est à sa place. L’humain a un rôle, les animaux ont le leur et l’ensemble des deux collabore et cohabite. L’homme évite le plus possible toute forme d’anthropomorphisme, il est d’ailleurs assez rare de voir des bêtes domestiquées et si c’est le cas, c’est à des fins essentiellement pratiques."
A propos de l'animalité
Natnada Marchal : "Je crois profondément que nous sommes tous des animaux, dotés d’instincts et de réflexes primitifs. En évoluant dans notre monde moderne, nous sommes parasités par tout un tas d’éléments factices et matériels qui nous font oublier les aspects les plus essentiels de la vie. La présence animale agit parfois en nous comme "un rappel à l’ordre" ; elle nous conduit à revenir à une forme "d’intelligence inconsciente". Dans ma démarche photographique, je ne fais pas de distinction entre humain et animal. Je me laisse porter par "la rencontre" - au sens large du terme. Du reste, l’impossibilité de communiquer avec les habitants de ces contrées lointaines m’a poussé à l’apprivoisement de l’autre par un langage non-verbal. Par des gestes plutôt que par des mots, par beaucoup d’observation, de patience et de respect des zones de confort (ou d’inconfort) de ce à qui/quoi j’étais confrontée."
Retrouvez la série Kolyma sur le site de Natnada Marchal.